Fabien Delahaye a pris ses quartiers à Saint Quay Portrieux et s’affaire sur les derniers préparatifs avant le départ de la Solitaire du Figaro. Ce dimanche 30 août à 13h il s’attaquera à la première étape de cette course mythique, son objectif de la saison, au départ et à l’arrivée de la Baie de Saint Brieuc sur un parcours de 642 milles via le Fastnet. A 48 heures du départ, le skipper du Figaro Laboratoires Gilbert revient sur la physionomie de cette première manche.

 

Vous commencez par un gros morceau avec l’étape la plus longue de cette édition 2020…
« Oui si on regarde bien c’est peut-être la plus longue de toute l’histoire de la Solitaire. Pour l’instant ça s’annonce plutôt bien niveau conditions météo, mais ce ne sera pas simple pour autant. La météo est encore très incertaine, on le voit bien en ce moment, avec beaucoup de coups de vent, des fronts, de la pluie. L’Atlantique est perturbé par bon nombre de dépressions, l’anticyclone essaie de les repousser mais il n’y arrive pas tout le temps donc cela crée des fronts qui nous amènent ces phases de vent d’Ouest, de Sud-Ouest un peu compliqués à gérer. »

 

Quelle météo attendez-vous pour cette première étape justement ?
« Nous devrions avoir un petit vent de Nord pour le départ avec une dorsale qui se reconstitue. On va devoir traverser cette zone sans vent pour aller vers l’Ouest-Nord-Ouest, les 20 premières heures de course vont donc être assez molles, il faudra s’extirper de cette dorsale pour récupérer le plus rapidement possible le flux de Sud-Ouest d’une dépression qui arrive par l’Ouest. Le vent forcira jusqu’au Fastnet, avec un passage de front, un vent perturbé et instable avec potentiellement de fortes rafales. Les bateaux vont donc aller vite sur un bord vers le Fastnet, ça va être de la conduite et de la vitesse pour rejoindre cette marque. Pour l’instant le scenario est à peu près idéal car on a le passage du front avec la bascule de vent pile au passage du phare sur tous les routages ; toute l’incertitude est dans les 20 premières heures de course et sur le temps que l’on va perdre dans la molle de dimanche. Sur le papier aujourd’hui c’est simple mais on sait que ça ne va pas l’être. Monter aussi Nord en mer d’Irlande à cette époque est déjà une difficulté en soi avec tous les coups de vent. Et n’oublions pas que nous avons des petits bateaux. »

 

Comment abordes-tu cette première étape ?
« Je ne suis pas plus stressé que ça, il faut bien la préparer pour avoir le moins d’incertitudes possibles au départ, bien avoir le fil en tête au moment du coup de canon puis dérouler la stratégie et éviter de faire des erreurs techniques. On a un beau plateau, la course va être longue. Même si c’est court dans le temps, la Solitaire reste un gros morceau, on va passer beaucoup de temps sur l’eau (plus de la moitié par rapport au temps de repos), d’habitude les temps de récupération sont au moins équivalents ; c’est un paramètre à gérer.
La Solitaire peut se perdre sur une étape, il faut être constamment concentré. Il suffit qu’il se passe un événement-clé sur une étape pour que l’on perde du monde. Sur la première étape, tout le monde rentre dans la course, tu fais plus facilement une erreur parce que tu n’es pas encore dedans. Mais avec le temps la flotte se regarde, surtout s’il y a déjà eu une hiérarchie sur la première étape, la flotte se contrôle. La Solitaire c’est la course de la régularité, il ne faut pas rater les moments-clés pour être devant. »

 

Est-ce que ça veut dire que ça va attaquer dès le début ?
« Ça ne se joue pas sur les débuts d’étape, surtout sur une étape longue comme celle-ci car il est très dur de prévoir à 4 jours ce qu’il va se passer. On a tous les clés en main les 24 premières heures pour sortir des situations. En revanche avec le temps la situation évolue, elle se déplace, c’est là que l’expérience de chacun entre en jeu pour actualiser ce qu’il se passe sur l’eau et faire les bons choix. On ne reçoit pas de fichiers météo pendant l’étape, on a les bulletins de l’organisation mais ils sont succincts et s’apparentent plus à de la sécurité qu’à de la stratégie. Il faut donc essayer de comprendre ce qui se passe pour faire les bons choix par rapport à une situation qui a évolué mais qu’on ne connait pas à 100%. »

 

Quelles sont les particularités de cette étape, voire même de cette Solitaire 2020 ?
« C’est vraiment une première étape hauturière, donc on va jouer avec des phénomènes météo plus généraux c’est-à-dire non perturbés par des effets côtiers. Quand on fait des étapes côtières on joue avec des effets de courant, avec les pointes, le thermique, toutes les transitions liées à la côte. Dans cette première étape on n’est pas du tout dans ce schéma-là, on est plus sur une gestion des phénomènes globaux.
Elle va être longue et le rythme de la Solitaire est intense ; dès dimanche il faudra penser aux prochaines étapes. Cette première manche peut avoir de lourdes conséquences sur les suivantes en termes de fatigue, de récupération, de gestion du matériel. Pour moi cette Solitaire du Figaro 2020 est très dure sur le papier, chaque étape est difficile avec beaucoup de pièges et de dangers. Pour faire une analogie avec le cyclisme, c’est comme si on ne faisait que de la montagne. »